dimanche 8 novembre 2009

Une ariégeoise combattante : Jeanne Sivadon


Une ariégeoise combattante : Jeanne Sivadon

Michel Bégon mai 2007

S’il est un reproche qu’on peut faire aux arbres généalogiques, c’est de retracer presqu’exclusivement les filiations patrilinéaires, qui transmettent les noms de famille, mais d’ignorer les filiations matrilinéaires, en omettant donc les descendances et les cousinages par les femmes. Cette vision traditionnelle tenait, bien sûr, à l’idéalisation du citoyen viril, portant les armes, au détriment des femmes, qui ne les portaient pas. Tout a changé depuis que les femmes ont pris à leur tour part aux combats patriotiques.

En effet, la seconde guerre mondiale a fait participer les femmes à l’action militaire dans tous les pays européens: en Russie les tireuses d’élite, en Allemagne les «souris grises», au Royaume-Uni les auxiliaires féminins et en France les agentes des services secrets. Pour avoir été de celles-ci, Berty Albrecht est devenue une héroïne nationale : elle est inhumée depuis le 11 novembre 1945 dans la crypte du mont Valérien et une place de Paris porte son nom. Or, l’ariégeoise Jeanne Sivadon a joué le même rôle, à ses côtés, au sein du réseau de résistance COMBAT, mais d’être revenue de déportation, en est restée moins connue. On veut rappeler ici quels furent sa vie, son courage et son action, avant qu’elle ne fonde en 1974/75 l’association des descendants des gentilshommes-verriers du sud-ouest, qui prendra le nom de la REVEILLEE.

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Sa mère était Leïla de Verbizier-Latreyte, qui était elle-même la fille d’Eugénie de Grenier-Lalée et la petite-fille du verrier Léon de Grenier-Lalée, tous ayant vécu à Magnoua de Gabre jusqu’aux débuts du XXème siècle. On a par ailleurs raconté leur histoire. Le père de Leïla était Alexandre de Verbizier-Latreyte, originaire des anciennes verreries de Bousquet, à Gabre aussi, et qui épousa Eugénie de Grenier-Lalée vers la fin du XIXème siècle. Par cette double ascendance, Jeanne Sivadon s’est toujours considérée et comportée comme une ariégeoise. Son père, le pasteur Daniel Sivadon, exerça plusieurs ministères dans le sud-ouest de la France, ainsi qu’à Clermont-Ferrand, et elle-même naquit à Toulouse le 26 juin 1901.

Jeanne passait régulièrement ses vacances d’été dans la maison de sa grand-mère Eugénie de Grenier, épouse de Verbizier-Latreyte, à Magnoua de Gabre, sur le petit plateau, alors dénudé et cultivé, d’où l’on apercevait l’immuable mont Valier sous son plastron de neige. On y venait par le train de La Bastide-de-Sérou et la route chevauchant la colline d’Aron. Jeanne jouait avec ses frères et cousins proches au milieu des champs, des troupeaux et des forêts de châtaigniers, qui font pousser les cèpes à la saison d’automne. Le grand événement de la semaine était le culte au temple de Lastermes, dont elle conservera toujours la nostalgie émue, parce que tous les cousins verriers de la haute commune y convergeaient chaque dimanche matin. Elle m’en a souvent parlé. En outre, sa mère Léïla de Verbizier avait hérité de son propre père la demeure familiale de Bousquet, perchée au dessus de l’actuel lac de Mondély, lequel bien sûr n’existait pas encore. En 1935, ses parents à la retraite se firent construire une maison plus moderne au Mas d’Azil même, sur la route du Castéra. Elle en héritera et y vivra plus tard. La REVEILLEE y aura longtemps son siège social


A l’époque, la mode n’était pas que les filles fissent de longues études et l’Ariège n’offrait guère de possibilités d’emploi féminin. De plus, se sentant d’abord une femme d’action, Jeanne est restée célibataire et sans enfant. Jeune, elle se consacra beaucoup au scoutisme et à la musique. Ses talents de pianiste étaient même reconnus : elle se produisait avec son frère Paul au violon dans de petits concerts amicaux. Le goût de l’anglomanie chez les protestants lui fit dès ce moment orthographier son prénom en «Jane». Puis, elle fut diplômée de l’Ecole pratique de service social et dirigea une maison de plein air pour l’enfance en difficulté à La Motte-les Bains. Lorsqu’en 1932 le métier d’assistante sociale reçut un statut légal, elle y adhéra par vocation et par utilité. Ses capacités d’organisation lui valurent bientôt les responsabilités de sous-directrice de l’école des Surintendantes d’usine, rue Princesse à Paris, puis de directrice de cette école, à partir de 1939. C’est là qu’elle forma notamment Berthie Albrecht, une protestante d’origine marseillaise, dont le nom de jeune fille était Berthe Wild. Elle y eut bien d’autres élèves, dont beaucoup jouèrent plus tard un rôle précieux dans la Résistance.

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La défaite de la France en juin 1940 devant les armées du IIIème Reich et la constitution de l‘Etat Français en juillet 1940, sous l’autorité du maréchal Philippe Pétain, imposèrent au pays l’idéologie de la «Révolution Nationale», c’est-à-dire la doctrine anti-démocratique et monarchiste de Charles Maurras et de son journal l’« Action Française». Dans l’esprit de ses auteurs, il s’agissait de restaurer l’Ancien Régime, hiérarchique et corporatiste, d’avant la Révolution de 1789. Aujourd’hui, on dirait que la pensée maurrassienne exprimait le refus des Droits de l’Homme et niait l’égalité des citoyens, au bénéfice du culte du chef et de la hiérarchie. C’était surtout l’utopie de réécrire l’histoire. Quoiqu’elle ait été condamnée dès 1926 par le pape PIE XI (mais relevée de cet interdit par PIE XII en 1939), nombre de Français s’y reconnurent et soutinrent ardemment le régime de Vichy. Aussi bien l’administration, l’armée, la police et la justice obéirent –elles sans beaucoup défaillir au nouveau pouvoir et collaborèrent-elles assez efficacement avec l’Allemagne, pour livrer à l’occupant les richesses françaises, réprimer les résistants et expédier 70.000 Juifs à la mort. Il est vrai que cette obéissance au maréchal Pétain et à son gouvernement commença de fléchir lorsqu’en 1943 la défaite de l’Axe s’annonça probable.


Une telle restauration devait recréer les conditions politiques d’antan, au premier chef l’inégalité, l’intolérance et la guerre civile. Contre l’oppression, la Résistance rassembla peu à peu tous les républicains. Pour les protestants, le retour aux persécutions religieuses réitérait fâcheusement les «dragonnades» de Louis XIV. Mais la propagande « collaborationniste » et la désinformation par la presse, la radio ou l’affichage étaient assez puissantes pour qu’une bonne part de l’opinion publique qualifie les résistants de « terroristes » et qu’à peine 2% de la population entrèrent réellement dans la lutte armée. A cette époque les couloirs du métro parisien rutilaient d’affiches où Jeanne d’Arc et Napoléon criaient leur haine des Anglais.

C’est d’abord pour conjurer cette propagande pro-allemande et redonner l’espérance aux français que l’officier d’active Henri Frenay, un militaire de droite et patriote, qui avait fait l’école de guerre, créa, dès l’automne 1940 et en zone libre, le réseau clandestin d’information et de diffusion, qui devait s’appeler le « Mouvement de Libération Nationale », puis, plus tard, le groupe « COMBAT ». Son adjointe fut dès l’origine Berty Albrecht, ancienne élève de Jeanne Sivadon, rue Princesse, puis devenue surintendante d’usine dans le département du Rhône et de confession protestante par ses lointaines origines helvétiques. Quand Frenay lui demanda d’étendre leur réseau en zone occupée par les Allemands, elle s’adressa en confiance à ses coreligionnaires et surtout à Jeanne Sivadon, dont elle savait l’énergie et l’influence. A partir de décembre 1940, celle-ci devint la secrétaire générale du mouvement pour le nord du pays et spécialement la capitale. Son rôle fut de coordonner l’ensemble des activités de renseignement sur l’ennemi, de recruter des patriotes bien placés, de faire passer l’information en zone libre et d’assurer la propagande contre le régime autoritaire.

Quoi qu’on en ait dit par la suite, la Résistance a donc commencé en France, dès l’automne de 1940 et dès l’occupation allemande, à l’heure où la Luftwaffe bombardait Londres et les espoirs de revanche apparaissaient chimériques. Les plus courageux ont été les premiers à tomber au combat.

Venu clandestinement dans Paris occupé, Henri Frenay investit Jeanne Sivadon de pouvoirs étendus et convoqua des réunions d’état-major dans son bureau, à l’école de la rue Princesse. Voici comment il la décrit :

« Dès le lendemain de mon arrivée, je rencontre Guédon à l’Ecole des surintendantes d’usine, rue Princesse. Il me présente à Jane Sivadon, qu’il me semble connaître déjà tant Berty m’en a parlé. C’est une femme blonde d’une quarantaine d’années mais son regard est d’une extrême jeunesse. Petite, toute ronde, elle respire la joie de vivre. Le timbre de sa voix et sa façon de parler sont presque ceux d’un enfant. Sur sa poitrine généreuse, la croix huguenote. Née au Mas d’Azil, dans l’Ariège fille de pasteur, elle est protestante mais sa gaieté naturelle l’a emporté sur l’austérité de sa religion. » (La Nuit Finira, page 81)

Mais Jeanne n’avait rien de puéril. C’était une intelligence et une autorité : une « meneuse d’hommes », pourrait-on dire avec le recul.

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Il s’agissait surtout de constituer une organisation ramifiée de militants sûrs et efficaces, d’abord pour combattre la désinformation de l’opinion publique, ensuite pour collecter et transmettre les informations stratégiques à l’attention des armées britanniques qui poursuivaient l’effort de guerre. Cependant, Henri Frenay n’était pas un fidèle à tout crin du général de Gaulle et garda quelque temps son admiration pour le vainqueur de Verdun, au point de se rapprocher ensuite des réseaux de renseignement américains, hostiles au général, ce qui déplut d’ailleurs à Jean Moulin et faillit provoquer la rupture entre les résistants.

Le réseau nord du mouvement mobilisa des personnalités de sensibilités très diverses, comme le révérend père Riquet, l’abbé Vallée, le professeur François de Menthon, Emmanuel Mounier de la revue « Esprit » ou Maurice Bourdet, ancien rédacteur en chef de la station de radio « Parisien ». Pour le groupe, l’ingénieur Paul Dussauze conçut un appareil émetteur de radio, qui devait permettre la diffusion de brefs communiqués sur Paris, mais ne fut pas prêt en temps utile. En outre, le mouvement diffusait un bulletin d’information appelé : « Résistance ».

Le projet tactique était d’utiliser les assistantes sociales qu’avait formées l’école des Surintendantes d’usine et qui étaient en poste dans les grandes entreprises pour espionner discrètement les activités de production ou de transport à destination de l’Allemagne. Nommée en 1939 à la direction de cette école, Jeanne Sivadon en était l’indispensable clé de voûte. Elle se faisait seconder par Anne-Marie Boumier, une des plus anciennes surintendantes d’usine et, de plus, introduite auprès du Comité des forges. Plusieurs jeunes élèves en cours de scolarité à l’école des surintendantes portaient les courriers secrets à travers toute la zone nord. C’était notamment le cas de Marie de Robert-Labarthe (épouse de René Gondran), qui sera plus tard avec Jeanne une des fondatrices de la Réveillée.

Depuis la zone libre, Henri Frenay veillait à la structuration systématique du mouvement dans la zone occupée, qu’il pensait constituer au plus tôt en organisation de masse. La création de relations de commandement hiérarchiques lui paraissait urgente, pour éviter les désordres d’un militantisme spontané et les risques des actions décousues. En Normandie, l’officier de carrière Robert Guédon avait monté un réseau de renseignement tourné vers la Grande-Bretagne. Mais le centre opérationnel restait le bureau de Jeanne SIVADON, 1, rue Princesse, à Paris VIème où étaient concentrées les archives, convergeaient les informations et se réunissaient les responsables. Jeanne correspondait avec Frenay par des messages à l’encre sympathique, qu’acheminait un agent de transmission à travers la ligne de démarcation, tracée par l’armistice de juin 1940.

Je me souviens d’une visite avec ma grand-mère, qui résistait aussi, dans l’antichambre du bureau de Jeanne, rue Princesse, près de Saint-Germain-desPrés, où il y avait des lampes basses et un grand canapé. Ce devait être en 1941. Je n’étais qu’un bambin, mais je me souviens bien de sa pétulance, de son rire aigu et de son bon sourire. Quand peu après le téléphone a signalé chez moi son arrestation, je fus consterné de la peur qui envahit mes proches et j’essayai d’imaginer quel pouvait être le sort de Jeanne. Mais on ne savait rien et on ne saura rien avant 1945.

Par malheur, l’agent de liaison entre Jeanne et Frenay, un nommé Devillers, était aussi un agent double, qui soumettait à l’Abwehr allemande toutes les correspondances du Mouvement avant de les transmettre en zone libre. Quand on l’apprit, il était déjà trop tard.

L’Abwehr allemande agissait sournoisement et pas à pas. D’abord, le 25 octobre 1941, elle arrêta Anne-Marie Boumier et le médecin de l’école des Surintendantes, Anne Noury. L’appartement de la première servait de cache à Henri Frenay, lors de ses passages à Paris, mais ce jour-là celui-ci ne s’y trouvait heureusement pas. Attiré dans un piège, Robert Guédon l’esquiva et s’enfuit vers l’Espagne. En vain Frenay tenta d’alerter Jeanne.

Au matin du 4 février 1942, la Geheime Feld Polizei occupa et fouilla l’école des Surintendantes, jusque dans les salles de classe. Les élèves qui arrivaient pour les cours se retrouvèrent perdues et désorientées parmi la foule des policiers armés. L’arrestation de Jeanne et de sa secrétaire fut suivie, en deux jours, de rafles beaucoup plus larges, allant jusqu’à prendre 47 militants au total, selon le décompte tragique qu’en fait Henri Frenay.

Le réseau nord du groupe Combat s’en trouva définitivement anéanti et ne se reconstitua jamais. Seul prospéra le réseau sud, qui parvint en 1943 à réunir plus de 30.000 agents civils ou paramilitaires. Si Lyon est devenue la capitale de la Résistance, c’est beaucoup à ce désastre de février 1942 qu’elle le doit.

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L’échec est à bien des égards imputable à la confusion d’un combat où l’on ne savait plus bien qui se battait pour qui et contre qui. Il ne venait pas encore à l’idée qu’un français pût trahir délibérément en faveur de l’Allemagne et que le vainqueur de Verdun donnât consciemment à l’ennemi sa revanche.

Beaucoup de militaires obéissant à Vichy croyaient encore que le maréchal Pétain préparait en secret la riposte et qu’il fallait se défendre contre les ingérences allemandes. Ils cachaient les armes pour la reprise des hostilités. Et même le contre –espionnage clandestin de Vichy arrêta Devillers à la ligne de démarcation entre les zones occupée et libre, le traduisit devant un tribunal militaire et le fit fusiller comme traître le 16 avril 1942. Cette équivoque prit fin avec l’entrée des Allemands en zone libre et le sabordage de la flotte de Toulon, en novembre 1942.

On a reproché au réseau COMBAT de s’être insuffisamment cloisonné et d’avoir été imprudent dans ses recrutements et ses transmissions. Mais ses chefs se croyaient secrètement soutenus par Vichy et même Henri Frenay appartenait au Deuxième bureau de l’Etat-major, jusqu’à sa démission avisée. D’ailleurs, le renseignement est un métier qui s’apprend moins par la théorie que par la pratique de la clandestinité. Comment reprocher à des néophytes de n’être pas soudain devenus des professionnels de l’espionnage, entraînés à se défier même de leur ombre? Il aurait fallu que les services secrets de l’armée française puissent leur servir de mentor. Mais ceux-ci en général répugnaient à coopérer avec des civils qu’ils ne contrôlaient pas!

Ce genre de critique malveillante a fait partie de la campagne de diffamation, qui voudra ternir la Résistance, tout au long de la IV ème République.

Enfin, si Jeanne Sivadon n’a pas pris la fuite à l’arrestation d’Anne-Marie Boumier, c’est qu’elle estimait que le capitaine devait rester à bord du navire à l’instant du naufrage. Mais elle ignorait combien l’ennemi faisait peu de cas de l’honneur.

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Tous les captifs furent mis au secret à la prison de La Santé, entre les mains des gardiens de prison français, qui ne leur témoignèrent aucune sympathie. Si les résistants croyaient bénéficier de la complicité ou au moins de la mansuétude des autorités civiles, ils constatèrent plutôt qu’elles exécutaient avec diligence les desseins de l’ennemi. En effet, Adolf Hitler avait exigé du maréchal Pétain qu’il rappelât Pierre Laval au poste de président du conseil des ministres. C’était un partisan déclaré de la victoire allemande, qui mettrait fin au double jeu des fonctionnaires et militaires de la zone libre. Du coup, le régime de Vichy opta définitivement pour le III ème Reich et la cause du national-socialisme. A telle enseigne même qu’au débarquement des alliés au Maroc et en Algérie, du 8 au 18 novembre 1942, l’armée française, sous le commandement du général Alphonse Juin, leur opposa une forte résistance, en faisant plusieurs centaines de morts de part et d’autre. Qu’on soit discret aujourd’hui sur ces choses n’est qu’une manière de réécrire l’histoire !

Après quatre mois de secret absolu à La Santé, les détenus se virent transférer à la prison de Sarrebruck en Allemagne, pour à nouveau 17 mois d’isolement, sans aucune information ni des leurs, ni du réseau COMBAT, ni des hostilités en cours.

« Ma première prison, déclara Jeanne plus tard, a été celle de La Santé à Paris, qui me laissa le plus pénible souvenir. Elle me laissa un pénible souvenir parce qu’il y faisait froid, sans doute, parce que la cellule était sale et pleine de punaises, mais surtout parce que c’est là que j’ai dû accepter l’idée que j’étais prisonnière. Les premiers jours d’internement sont de beaucoup les plus durs. On pense qu’on n’arrivera jamais à tenir cette éternité que seraient quinze jours ou trois semaines, tandis qu’au bout de deux ans de captivité, on se dit que s’il n’y avait plus que six mois à faire, on serait tout de suite au bout de sa peine…Il y aurait beaucoup à dire sur ces deux années de solitude totale, sur ces longues journées, toutes semblables, et qui n’étaient éclairées par rien, ni par une lettre, ni par un paquet. Au risque de vous surprendre, je peux cependant vous dire que c’est un grand privilège de pouvoir une fois dans sa vie être seul si longtemps, en face de soi-même. »

Il y avait tout de même à Sarrebruck des choses qui n’auraient pas été possibles à La Santé. L’aumônier de la prison sarroise protégea les emprisonnés avec charité chrétienne. De sa cellule, Jeanne entendait chaque dimanche célébrer l’office pour les gardiens et les prisonniers de droit commun. Mais l’organiste jouait faux et les chœurs détonaient. Jeanne s’en plaignit auprès de ses geôlières. L’administration de la prison fut piquée au vif. La célébration de la musique allemande servait de légitimation suprême pour la supériorité raciale des Germains et c’était une française du midi qui stigmatisait les fausses notes des Aryens. « Mais si vous êtes tellement musicienne, prenez donc l’harmonium le dimanche matin », lui objecta –t-on. Ce qu’elle fit avec joie jusqu’à sa condamnation.

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Le procès du réseau COMBAT fut mené par la Haute Cour de Justice de Berlin, le Volksgerichtshof, en octobre 1943, c’est-à-dire après les défaites allemandes de Stalingrad et Koursk, après les retraites de Tunisie et d’Italie, après aussi la destruction de la ville de Hambourg, en août 1943, avec 40.000 tués. Dès juin 1943, le comité français de libération s’était constitué à Alger, sous la présidence de Charles de Gaulle, quoiqu’il fût condamné à mort, pour désertion, par les tribunaux de Vichy. Ayant pu fédérer les mouvements de résistants et notamment le groupe COMBAT de Henri Frenay, le président du conseil national de la Résistance, Jean Moulin, fut lui-même arrêté, le 12 juin 1943, et torturé à mort en juillet. Pour les Nazis et leurs alliés, l’heure n’était plus à l’euphorie ni à la séduction, mais à la répression systématique, pour sauver coûte que coûte leur Ordre Européen et leur propre tête.

La Cour de Berlin n’avait de populaire que le nom. Elle était, certes, présidée par un magistrat, mais composée d’officiers des armées et de représentants de la Hitlerjugend. Etaient jugés 42 inculpés, qui s’entendirent accuser par le procureur d’avoir mis en danger les forces d’occupation allemandes en France.

« Les accusés qui comparaissent devant nous ne seront pas tant punis pour ce qu’ils ont fait, puisqu’ils n’ont opéré que quelque mois, mais ils seront punis au maximum puisqu’ils sont à l’origine d’un mouvement de résistance qui met l’armée d’occupation en danger. »

Aux 42 résistants présents du groupe « Combat », qui ne savaient plus rien depuis longtemps du cours de la guerre, ce seul chef d’accusation révéla combien leur action avait été efficace et suivie d’effets décisifs. Ce fut pour eux un réconfort et même une joie d’apprendre n’avoir pas combattu en vain, au sacrifice probable de leur vie. Sur les 42 accusés, 23 furent condamnés à mort, 17 hommes et 6 femmes, dont Jeanne Sivadon.

L’instrument d’exécution était une guillotine perfectionnée. Les condamnés furent plusieurs fois admis à la voir longuement. Jadis on montrait les instruments du supplice aux suspects et aux condamnés, pour provoquer chez eux le stress, qui déclencherait les aveux cruciaux. L’attente de l’exécution capitale, périodiquement annoncée pour le lendemain, perdura des mois. Finalement, seuls les 23 hommes ont été décapités ; les 6 femmes ont entendu commuer leur peine en détention perpétuelle ; mais 2 d’entre elles sont mortes d’épuisement dans les camps, 2 autres ont disparu en Allemagne, 2 seulement sont revenues de déportation, Elisabeth Dussauze et Jeanne Sivadon.

Celles-ci furent astreintes aux travaux forcés, à 12 heures par jour d’atelier, dans la prison de Cologne, puis aux forteresses de Lübeck et Mottbus. Le national-socialisme ne se réclamait donc de Rome et du Saint Empire romain-germanique que pour mieux rétablir l’esclavage ! Comme à l’ergastule, les captives avaient les fers aux mains nuit et jour et ne recevaient qu’une maigre pitance. De leurs geôles, elles entendaient les bombardements alliés ravager les cités historiques. Encore n’était-ce pas le pire ! Le régime de la forteresse restait somme toute normal pour une incarcération au secret, comme une sorte de purgatoire avant l’enfer.

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En novembre 1944, le III ème Reich s’était replié sur le Rhin et la Vistule. Joseph Goebbels proclamait la « Guerre Totale ».Les allemands tenaient bon sous les assauts des alliés, auxquels s’étaient joints les français désormais libérés. Ils croyaient dur comme fer aux promesses d’armes secrètes qui devaient retourner le rapport des forces, ainsi que l’a récemment confirmé Gunther Grass, qui s’engageait à ce moment dans les Waffen SS, en toute confiance dans la victoire finale du Grand Reich. Mieux avertis des réalités, les dirigeants nazis entendaient non seulement se venger de leurs ennemis victorieux, en détruisant tout ce qu’ils pouvaient, mais surtout faire disparaître les témoins gênants, qui seraient devenus autant de justiciers potentiels.

Les déportés politiques de nationalité allemande, reclus dans les camps depuis 1933, sont alors tous fusillés. L’extermination des juifs, accusés d’être responsables de la guerre et des revers allemands, se précipite dans toute l’Europe occupée. A partir de l’automne 1944, les 400.000 juifs de Hongrie sont expédiés vers les camps de la mort. L’opération secrète « Nacht und Nebel », c’est-à-dire « Nuit et Brouillard », doit faire disparaître au plus vite les résistants captifs qui sont considérés les plus dangereux. Aucun courrier ni aucun colis ne pourra leur être adressé et aucun message ne doit parvenir d’eux à l’extérieur. Ce sont des morts en sursis. Les Nazis forgent même le concept de « Seelentod », la mort des âmes, pour anéantir moralement les réprouvés, avant de liquider leur cadavre.

En novembre 1944, Jeanne SIVADON est inscrite sur la liste du régime « Nacht und Nebel ». Elle est transférée au camp de concentration de Ravensbrück, dans le Brandebourg, où elle subit la faim, la promiscuité, la saleté, le froid, les travaux sur les routes jusqu’à l’épuisement, les appels de nuit, souvent sans vêtement, la sélection fatale des moins aptes, la pendaison des camarades en public.

« Je voudrais vous dire avec quel raffinement nos geôliers s’acharnaient à détruire en nous tout sentiment noble et altruiste. Ils nous entassaient comme des bêtes dans des wagons à bestiaux pour nous faire voyager. Ils nous obligeaient dans maintes circonstances à abdiquer tout sentiment de pudeur. Ils nous contraignaient à un état de saleté répugnant ; ils nous forçaient par cette vie en commun et cette promiscuité odieuse, à révéler ce qu’il y avait de mauvais en chacune de nous. C’était la lutte pour la vie. On aurait vendu son âme pour une gamelle de soupe et on regardait avec fureur, envie et jalousie le morceau de pain de sa voisine, quand par hasard il paraissait plus gros que le sien. Cette atmosphère favorisait en nous les sentiments les plus dégradants et certainement ce dont nous leur en voudrons le plus, c’est de nous avoir appris la haine ».

Pour tenir quand même, il lui faut dormir autant qu’elle le peut, serait-ce les cheveux dans l’urine de ses compagnes. Il lui faut aussi se détendre et rire autant que permis par les gardes-chiourmes. Les déportées forment des cercles de conversation et de jeu, où c’est à qui inventera les mets les plus délicieux et les orgies les plus gargantuesques, pour rêver ensemble un petit peu. La femme d’un pasteur a pu cacher une Bible et le dimanche célèbre le culte pour les protestantes et les catholiques confondues dans une même foi. Jeanne fait aussi la connaissance de co-détenues admirables, Geneviève de Gaulle, Germaine Tillon, Denise Jacob (sœur aînée de Simone VEIL), Marie-Claude Vaillant-Couturier, grâce auxquelles la femme française conquerra le droit au respect, l’égalité civile avec les hommes et , en 1945, le droit de vote.

Sous l’uniforme à rayures des bagnards, beaucoup désespèrent, mais Jeanne garde l’espérance. Sa foi chrétienne lui promet le salut après l’épreuve. « Ce n’est pas moi qui me laisserait partir ; je veux leur tenir tête jusqu’à la chute du Reich et à la liberté ». Mais elle lit sur les visages de ses compagnes lesquelles renoncent à rester en vie et lesquelles veulent avec elles résister jusqu’au bout. Peu à peu la mort restreint le cercle des amies.

A l’approche des armées russes, le gouvernement de Berlin décide d’évacuer les camps de l’est, dont Ravensbrück, proche de Potsdam, vers les Alpes bavaroises et autrichiennes, où il compte constituer un réduit inexpugnable, servi par ses myriades d’esclaves. Un tel projet peut paraître utopique, pourtant il est mis à exécution et l’exode à marches forcées des déportés vers l’ouest sera leur plus terrible épreuve. Jeanne Sivadon est acheminée au camp autrichien de Mauthausen, près de Linz. C’est alors, en mars 1945, que les allemands lancent une vaste contre-offensive contre les russes pour reprendre Budapest et garantir leur réduit alpestre. Leur contre-attaque est brisée par les blindés du général Toboulkine, qui prennent Vienne le 13 avril, puis bientôt Linz et libèrent Mauthausen.

Le jour même de leur libération, beaucoup de déportés meurent d’épuisement ou d’ingestion prématurée d’aliments. Ainsi disparaît Anne Noury, l’ancien médecin de l’école des Surintendantes d’usine. Atteinte de gale et de dysenterie, Jeanne Sivadon a déjà perdu 40 kilos et s’apprête aussi à trépasser, lorsque les russes forcent les portes du camp. Elle sera rapatriée par la Suède. Et ma grand-mère, responsable des services sociaux de la Résistance, pourra l’accueillir à Paris, gare du nord. Son frère, le psychiatre Paul Sivadon va la ramener peu à peu à la santé en la nourrissant, comme un enfant, de laitages et en lui faisant reprendre très progressivement du poids.

Jeanne se réfugie au Mas d’Azil (Ariège) pour reprendre ses forces et la vie normale, chez ses parents et dans son pays. Désirant oublier ses terribles épreuves, elle se refusera toujours à les évoquer, même pour ses proches. Elle gardera toujours la haine des Allemands, au point de désapprouver la politique de réconciliation avec l’Allemagne, que conduira le général de Gaulle dans les années 1960. Le seul témoignage qu’on ait d’elle est une confession faite le 28 juillet 1945, au sein du temple du Mas d’Azil, et dont j’ai tiré les quelques citations ci-dessus

L’Ariège aussi a subi les horreurs de la guerre et montré la fierté de résister. Les maquisards y ont livré plusieurs batailles meurtrières. Rimont l’incendiée est toute proche du Mas. D’ailleurs, le 5 juillet 1944, sur la dénonciation d’un proche, la milice de DARNAND a incendié au canon la maison des ancêtres verriers de Jeanne, à Bousquet, qui servait d’asile aux républicains espagnols, sur le territoire de la commune de Gabre. Cette maison de verriers avait été restaurée magnifiquement en 1938 et une grande réception familiale avait célébré sa rénovation. J‘y étais moi-même, mais si petit enfant que je me cachais sous la nappe de la table des petits-fours. Cette grande bâtisse ne sera jamais reconstruite et n’est plus qu’un amas de pierres au fond de bois impénétrables.

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Or, la Libération qui vient s’avère à bien des égards décevante. En réalité la France libérée restera longtemps, jusqu'au retour du général de Gaulle et à la V ème République, sous la coupe d’une classe politique, d’une administration et d’une armée qui ont adulé le régime de Vichy, collaboré avec le Reich nazi et haï la Résistance. Les pétainistes forment encore de puissants groupes d’influence qui réclament l’amnistie et finissent par l’obtenir en 1951. Ils réussissent même à manipuler l’opinion publique, en inversant les valeurs républicaines sous de faux semblants. Ces subterfuges, il n’est pas mauvais de rappeler ici, ne serait-ce que pour la gouverne des jeunes. Sous la IV ème République, les hommes d’Etat les plus décriés seront justement les résistants de la première heure, par exemple les Charles de Gaulle, Joseph Laniel ou Pierre Mendès-France ; la mémoire de Jean Moulin se verra souiller d’accusations injurieuses de double jeu ou même de trahison.

Certains incidents révèlent bien cette réaction, qui cinquante ans après semble absurde. En 1951, l’archevêque de Paris fait acclamer le nom de Pétain sous les voûtes de Notre-Dame, en présence du maréchal Juin. François Mitterrand fait régulièrement fleurir la tombe de Pétain à l’île d’Yeu et protège René Bousquet, l’ancien secrétaire général de la police de Vichy. Plus grave, on insulte les martyrs. Ainsi le désormais célèbre film d’Alain Resnais sur l’opération « Nuit et Brouillard » sera censuré au festival de Cannes en 1956, tant il apparaît inconvenant au ministre responsable de montrer les images des bourreaux, du sadisme et des charniers. Cette interdiction n’empêchera même pas la délégation allemande de quitter solennellement le festival cinématographique, au motif qu’on attentait à l’honneur de l’Allemagne.

Il est alors usuel de dénigrer la Résistance, « dont les fanfarons ont fait prendre à la population des risques inutiles et l’efficacité militaire était d’ailleurs nulle ». C’est bien sûr une contre-vérité. La Résistance a permis la percée fulgurante des Alliés jusqu’au Vosges, bien plus aisément que ceux-ci ne l’escomptaient. Et d’ailleurs, on sait bien aujourd’hui, par maints autres exemples, qu’une organisation de militants prêts à sacrifier leur vie a raison des armées les plus modernes et les mieux équipées.

Dans ces circonstances faussées, Jeanne SIVADON se voit refuser sa réintégration à l’école des Surintendantes d’usine, pour avoir par ses imprudences inutilement compromis la sécurité des élèves. Son attitude passée est jugée déraisonnable. Pour un peu ce serait elle la coupable de ce qui s’est passé !

Il lui faut opter pour l’armée, qui a besoin de restaurer son blason et de faire oublier ses palinodies, en recrutant des résistants authentiques. Nommée capitaine, elle y dirigera les services sociaux destinés aux militaires et finira sa carrière comme inspectrice générale des assistantes sociales des forces armées. Déjà décorée de la croix de guerre, elle se verra remettre les insignes de commandeur de la Légion d’Honneur, dans la cour de l’hôtel des Invalides. Jusqu’à la fin, elle restera « gaulliste » de coeur et d’opinion.

C’est une femme résolument de droite, dans la tradition de la droite de devoir, qui croit que les dirigeants de la nation ont à s’imposer par l’exemple moral et non par l’autoritarisme. En 1964, comblant ses vœux, le général de Gaulle fait solennellement transférer au Panthéon le corps de Jean Moulin.

Pourtant, Jeanne ne se ralliera jamais à la réconciliation franco-allemande qu’engage alors le général. Les seuls allemands qui trouveront encore grâce à ses yeux et ses oreilles seront Martin Luther, bien sûr, et Jean-Sébastien Bach, le compositeur des cantates sacrées. Au piano, elle jouera son « Jésus que ma joie demeure ! ».

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Désormais militaire, Jeanne s’abstient de tout engagement politique, même si elle participe occasionnellement aux réunions du Rassemblement du Peuple Français, le parti gaulliste de l’époque. Elle habite rue Lagarde à Paris Vème, avec son frère André. Elle y reçoit Elisabeth Dussauze, sa vieille compagne des bagnes allemands. Ses fonctions d’inspection l’amènent souvent dans la zone d’occupation française en Allemagne et parmi les garnisons de Stuttgart ou de la Forêt Noire. Il lui paraît stupéfiant d’être reçue comme un grand chef dans ce pays où elle n’était plus qu’une esclave vouée à la mort lente.

Jeanne a des frères, qui feront aussi parler d’eux dans les décennies 1950 et 1960. André SIVADON fonde la médecine du travail et Paul SIVADON rénove la psychiatrie. Elle se consacre beaucoup à ses neveux et nièces.

Quand elle prend sa retraite des armées, en 1961, Jeanne rejoint définitivement le Mas d’Azil et renoue passionnément avec l’Ariège. Son enthousiasme resté juvénile et son autorité demeurée militaire, en un mot son charisme, font accourir au Mas les anciens résistants et beaucoup d’autres, qui viennent la rencontrer et l’écouter. La fille de Berty Albrecht et Anne-Marie BOUMIER, elle aussi rescapée des camps, viennent la rencontrer en Ariège. Une délégation de surintendantes d’usine se déplace pour la fêter.

Or, son grand dessein est de recréer la communauté des familles de gentilshommes-verriers, qui était si vivante encore à Gabre, au Mas d’Azil ou à Pointis-Mercenac dans les années de sa jeunesse, mais que les deux guerres mondiales ont dispersées et surtout divisées. D’autres cousins y avaient pensé, en ont beaucoup causé, l’avaient même mis en vers, elle l’a réalisé. D’emblée, elle a l’assentiment de ses cousins André de Verbizier-Latreyte, médecin du Mas d’Azil, et Jean de Verbizier-Latreyte, psychiatre parisien, du pasteur André de Robert-Labarthe, qui présidait aux réunions de Villemétrie, d’Emile de Grenier du Mas d’Azil, des deux sœurs Marie et Jacqueline de Robert-Labarthe et de beaucoup d’autres. Surtout, l’événement qui déclenche l’enthousiasme et les ralliements est la réédition en 1973, par Robert et Dora Planchon, de l’ouvrage d’Elisée de Robert des Garils sur la double histoire de Gabre et des Robert. Des conciliabules se tiennent dès ce moment et débouchent sur l’action à partir de 1974.

Ah la joie de Jeanne quand elle racontait la merveilleuse surprise de ces moments ! On recherche les coordonnées de tous les cousins Robert, Grenier ou Verbizier dont on a la trace ; on rédige une lettre circulaire d’invitation pour une réunion de retrouvailles au Mas d’Azil ; on l’expédie aux quatre coins de France et même de l’Occident, jusqu’au Brésil, et on attend avec anxiété d’éventuelles réponses. Or, c’est un déluge d’acceptations enthousiastes. Nul doute que le charisme d’une héroïne de la Résistance a largement facilité l’énorme réussite du grand dessein. Il ne s’agissait pas seulement de rallumer les cendres du passé, mais de conjuguer les destins familiaux avec la grande histoire.

La première grande réunion des trois familles de gentilshommes-verriers en 1975 fait date en France et se voit retransmettre à tout le pays par le téléfilm de Gérard Guillaume sur la deuxième chaîne nationale. Sous ce nom d’auteur se cache Gérard Joli, qui est aussi son filleul. Au moins quatre cents cousins, petits et grands, participent joyeusement aux retrouvailles dans la salle des fêtes du Mas, à la Coudère, au Carla-Bayle et à Unjat, dans le département de l’Ariège. Tel est même le succès que Jeanne réussit à convaincre les cousins de continuer l’entreprise. Ce sera l’épopée de la REVEILLEE, dont jusqu’à sa mort Jeanne sera l’animatrice intrépide. D’autres familles imiteront un peu partout notre initiative.

Son sens de l’organisation est surtout remarquable. Etait-ce inné ou bien était-ce un acquis professionnel ? C’est elle qui crée l’organisation de la Réveillée et lui dicte ses us et coutumes, par exemple l’obligation d’appeler « cousin » ou « cousine » des inconnus avec lesquels on n’a plus d’ancêtre commun depuis le XVIIème siècle ou d’accoler à chaque patronyme entre parenthèses la mention de la branche généalogique. Les premiers conseils d’administration de l’association de la loi de 1901 nouvellement créée se tiendront ordinairement à Font Brascou, sa maison du Mas, qui est aussi le siège social, où afflue l’abondant courrier, auquel il lui faut répondre.

Jeanne y préside les réunions préparatoires aux assemblées plénières, où les femmes se montrent les plus actives. Chacun l’appelle affectueusement « Tante Jane » ou bien « Jeannette ». Elle dira pus tard que les vingt années passée avec la Réveillée ont été les plus belles de sa vie et en tout cas la récompense de ses durs combats.*

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Le vingtième anniversaire de la REVEILLEE se tient au début d’août 1995 au Mas d’Azil, sous la présidence d’Hervé de Riols de Fonclare, desendant des verriers de Moussans. Une grande exposition de verres modernes est ouverte au public, à laquelle ont été conviés des maîtres-verriers de Murano : les époux Toso. Sur la place du village, des verriers syriens soufflent le verre à la mode antique, parmi la foule des curieux rassemblés. Un atelier d’artisan verrier est installé au Mas, autour de Pavel Kirzdorf, lequel fonctionnera jusqu’à aujourd’hui. Mais Jeanne est très malade et ne paraît pas à cette apothéose, dont on la tient heure par heure informée. Elle a 94 ans. Au banquet, le quatuor des frères Bordreuil (de Grenier Fajal) chante pour elle : « ce n’est qu’un au revoir mes frères ! ». On reprend en choeur, on la pleure déjà. Sur son lit de mort elle me fait promettre, ainsi qu’à mon épouse, de poursuivre son œuvre.

SIVADON disparaît le 31 août 1995. Elle est inhumée au cimetière du Mas d’Azil, au flanc de la colline qui domine le village et fait face à la grotte où, par temps d’orage, gronde sourdement l’Arize.

« Le Mas est sous nos pieds : sa rotonde escarpée
Nous dit sa grande histoire et sa forte épopée !
Cirque majestueux, gigantesque entonnoir
De prés, de pampres verts, de roc grisâtre et noir… »
(Napoléon Peyrat : la Grotte d’Azil)

Eh bien, en souvenir de nos aïeux et de Jeanne, nous continuerons !


Eléments de bibliographie

Général Brégeault et Général Brosse : Le Deuxième Conflit Mondial.Editions G.P. 80- 1946
Henri Frenay :La Nuit Finira-Robert Laffont-1973
Olivier Pereira : Les Ariégeois et la Résistance –Lacour 2000
Dominique Missika : Berty Albrecht- Perrin 2005
Jérôme Cotillon : Ce qu’il Reste de Vichy-Armand Colin-2003
Sivadon : allocution dans le temple du Mas d’Azil -1945-non publiée.

En outre, on a fait recours à des souvenirs personnels ainsi qu’à ceux des proches.

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