dimanche 8 novembre 2009

Napoléon Peyrat poète épique


Napoléon Peyrat poète épique
Michel Bégon février 2009


Rares sont les français qu’ait tentés la poésie épique. Oh ! sans doute énumère-t-on la Franciade de Ronsard, la Pucelle de Chapelain ou la Henriade de Voltaire, mais que personne ne lit plus guère. Rien de chez nous n’égale l’Enéide, ni la Jérusalem Délivrée. Il nous manque la foi qui sublime la chanson de geste. Pourtant, Victor Hugo en 1859 publia de son exil à Jersey sa grandiose « Légende des Siècles ». Et l’ariégeois Peyrat fut tenté de faire, lui aussi, de l’épopée. Les Pyrénées ne lui offraient-elles pas cet horizon de légendes et de combats dont rêvent les bardes et les aèdes ?

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Napoléon Peyrat est né aux Bordes-sur-Arize en 1809, tout au nord du département de l’Ariège, tandis que les armées impériales guerroyaient en Espagne. Son père était le maire et le pasteur de la commune, mais fervent bonapartiste, se vit révoquer en 1814 de son mandat municipal, ce qui devait créer chez le fils l’esprit de revanche. Le jeune Peyrat fit ses classes d’abord au Mas d’Azil, dont il aima jusqu’au délire l’immense grotte et sa rivière torrentielle, à cette époque désertes et sauvages, pour les terminer à Montauban, vers 1825, en fréquentant un cénacle de poètes. Son nom de plume fut alors « Napol le Pyrénéen ».

Le romantisme était à la mode et le régionalisme aussi. Stendhal écrivait : « le romanticisme est le libéralisme en littérature ». Arrivé à Paris en 1831, Peyrat se lia avec Lamartine, Béranger, Sainte-Beuve et Lamennais. Ses premières œuvres furent des histoires épiques en prose, à la façon de Michelet, où il associait artistement la fiction glorieuse aux faits attestés :

l’Histoire des Pasteurs du Désert et de la Grande Insurrection Camisarde, en 1842 ;
les Réformateurs de la France et de l’Italie au XIIème siècle, en 1860 ;
le Capitaine Dusson et le Siège du Mas d’Azil de 1625, en 1863 ;
et surtout l’Histoire des Albigeois en six volumes, publiée en 1870, laquelle devait devenir célèbre en créant la légende de Montségur.

En 1847, vers la fin de la Monarchie de Juillet et aussi bien celle du romantisme, Peyrat se vit nommer pasteur de l’église réformée (calviniste) de Saint-Germain-en Laye et devait le rester jusqu’à sa mort en 1881. Ce bourg discret aux pieds du vieux château royal, depuis longtemps déserté par la Cour, sentait l’exil et la légende. Peyrat s’y ennuya ferme. Les pays d’Ariège lui manquaient et le « spleen » le torturait. Entre deux sermons et deux visites pastorales, il composa des milliers de vers sur les Ecritures, sur l’histoire de France, sur les oiseaux, sur la Normandie, sur les Pyrénées ou sur l’actualité, toujours dans le style relevé de la grande littérature. Il soumit ses poèmes au mage de Jersey, d’où Victor Hugo lui répondit aimablement : « votre poésie est très réelle et très locale ».

Au vrai, c’est une très belle poésie, prenante et enthousiaste, déferlant comme un torrent, avec des discours gonflés d’images et cependant quelques excès, dont l’abus de mythologies désormais perdues. J’avoue pour ma part être jaloux de superbes strophes et d’alexandrins sculptés que je vais reprendre. Lisez d’abord celui-ci et tremblez dans l’âme :
« L’histoire est le soleil du monde adolescent ».

La publication de ses poèmes fut tardive :
en 1863, « l’Arize, Romancero Religieux, Héroïque et Pastoral des Pyrénées » ;
en 1874, « la Grotte du Mas d’Azil » ;
en 1877, « les Pyrénées ».

L’Association des Amis de Napoléon Peyrat vient de rééditer ces trois livres pour notre délectation

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Que compose donc Peyrat ? D’abord, bien sûr, des cantiques à la gloire de Dieu, où l’on reconnaît le choral de Luther :

« Jeovah, Jeovah, je t’aime !
Je t’aime, ô Dieu vainqueur, et mon cœur filial
Brûle sur ton autel, ô mon sauveur suprême,
L’encens de la louange et l’hymne triomphal !
L’Eternel est ma roche ! Il est ma forteresse !
Je m’abrite en son sein, aux jours de la détresse,
Il est mon bouclier, mon invincible armure!
Lorsque la tempête murmure
Je crie à l’Eternel, et je suis exaucé ! »
(La grotte d’Azil- Jeovah)

Il versifie la Bible et la vie du Christ, la geste des apôtres et des ermites, les martyres antiques et modernes, les Cathares et la Saint-Barthélémy .A l’exemple de Victor Hugo, il griffe de sa plume l’Eglise et le pape Pie IX. On sent poindre chez lui l’anticléricalisme qui va bientôt suivre. Mais le passé surtout le fascine. Or, la vallée de l’Arize lui semble un nouveau Jourdain et la grotte du mas d’Azil un nouveau Saint-Sépulcre. Le panthéisme hugolien l’entraîne, bien avant Messiaen, à peupler de chants d’oiseaux ses discours nostalgiques :

« Oh ! du vent qui le brise
Sauve un doux rossignol
Pleurant sa verte Arize
Son soleil espagnol ».
(Les Pyrénées- Merci)

Cependant l’art de Peyrat dépasse le registre hugolien et annonce l’extase mystique d’un Charles Péguy. Seulement, la grotte du Mas est à l’un ce que la cathédrale de Chartres sera pour l’autre. Voici comment il ose mettre en vers, assez fidèlement d’ailleurs, le superbe et terrible psaume 137, qui chante les imprécations des Juifs captifs de Babylone :

« Sur les fleuves de Babylone
Nous nous sommes assis dans notre affliction
Nos pleurs muets tombaient dans l’onde qui bouillonne,
Car nos cœurs pensaient à Sion.

Nous avons suspendu nos harpes
Aux rameaux chevelus des saules de leur bord.
Nos vainqueurs triomphants aux splendides écharpes
Le front ceint de tiares d’or,

Nous ont dit : captifs hébraïques,
Relevez donc vos fronts, reprenez le nebel,
Chantez et faites-nous entendre les cantiques
De Sion aux fêtes de Bel…

[4 strophes encore,et puis…]

O Babel, lève tes paupières
Vois l’exterminateur foudroyer tes remparts,
Et tes petits-enfants broyés contre des pierres,
Comme les faons des léopards ».
(La grotte d’Azil- le Désert)

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Le « spleen » hante Peyrat ; le mirage lointain des Pyrénées obsède sa mémoire d’enfant et son cœur d’adulte. Il avoue à Sainte-Beuve se sentir étranger à Paris comme le pâtre ariégeois dans la métropole qui l’accueille, mais le broie, ou comme le galet des montagnes que l’Arize déporte et rejette en quelque trou :

« Moi, jeune pâtre obscur, grave, farouche et doux,
Jeté par l’ouragan de ma grotte natale
Dans le gouffre hurlant de la cité fatale… »
(L’Arize- A Sainte-Beuve)

Bien sûr, il revient l’été, le chemin de fer aidant, aux Bordes-sur-Arize, vieille cité forte, et à la maison de son père, à Larmissa, sous le Plantaurel ; mais ensuite il lui faut retourner auprès de ses ouailles à Saint-Germain, où rien ne se passe vraiment. Alors, il rêve à Foix, à Pamiers ou à la brèche de Roland au cirque de Gavarnie :

« Foix, quelle fantastique fée
Jeta ton donjon féodal
Sur ta verte cime coiffée
De brume et de rêve idéal ».

« Où sont tes vieilles crénelures
Pamios, et quel nouvel art
Fais circuler les chevelures
Des cyprès sur ton castellart ? »

Il s’imagine retournant au pays et juste après Toulouse, quand surgit au lointain la chaîne bleue des Pyrénées, dentelée comme une forteresse inexpugnable :

« Et puis, voyez là-bas, à l’horizon voyez
Ces grands monts dans l’azur et le soleil noyés !
Leur incommensurable arête
Semble un mur colossal du siècle des géants,
Dont les pieds sont battus par les deux océans,
Dont la foudre a rongé la crête ».
(Grotte d’Azil- La Patrie)

Parfois les montagnes lui évoquent le Mont Sinaï, que jadis gravissait Moïse, en « blanc vieillard », pour recevoir de Dieu les tables de la Loi. Puis, ce sont d’autres apparitions fantastiques qui l’obsèdent : les bûchers de Montségur et l’héroïque résistance du Mas d’Azil au siège de 1625. Ces visions se superposent et se mirent l’une dans l’autre dans une grandiose perspective :

« Ah ! vers les demeures célestes,
Guidez le blanc vieillard et ses colons agrestes,
Et moi chantre éploré de ce terrestre exil !
Mais l’ombre éteint les monts où la lune retombe,
Glissant de l’une à l’autre tombe,
Du pâle Montségur au sombre Mas d’Azil ».
(Grotte d’Azil- La Patrie)

Pour lui, la grotte du Mas est le martyrium de la foi, où premiers chrétiens, cathares et huguenots sont ensemble ensevelis. Vision œcuménique en des temps d’intolérance ! En 1840, le site profond, que ne violait pas encore la route départementale, restait désert et merveilleux, propice à la prière et au songe. Il l’appelle la « Spélunque », du latin « spelunca », peut-être en songeant à l’antre de la Sibylle à Cumes, qui prophétisa, disait-on, la naissance du Christ :

« O merveille ! Au-delà du vert vallon d’Azil
La Spélunque apparaît, morne en son âpre exil,
Colossale, et prenant aux rais du soir mystique,
Aux vapeurs du couchant un aspect fantastique.
Dans cette brume d’or, le roc cyclopéen
Semble un palais flottant, limpide, olympien ».
(La grotte d’Azil- Prologue)

Hélas ! L’industrie vient maintenant profaner ce saint lieu. Elle installe sur le cours de l’Arize des moulins et des martinets utilisant la force motrice, à son grand regret de poète. Depuis le Second Empire, l’électricité nous en a maintenant débarrassés ! Mais voici qu’on creuse et qu’on sape les parois de la grotte pour y faire passer la route. Et cet aménagement est resté pérenne, attirant les camions et les voitures pour leurs risques et périls, à grand renfort de bruits et de gaz polluants.

En affectant de ne pas trop voir ce double sacrilège, Peyrat se réfugie dans l’épopée. Sur l’épaulement gigantesque qui recouvre et entoure la grotte, il croit revoir et entendre les affreux bataillons du maréchal de Thémines, qui firent en 1625 le siège du Mas d’Azil et durent battre en retraite, vaincus par le courage des Aziliens ou les intempéries. Et de convoquer Dieu ainsi que l’amiral de Coligny sur le haut balcon rocheux pour leur faire admirer l’âpre spectacle de la revanche :

« Ecoutez ! Thémines s’élance !
Caraman, Ventadour, et leurs noirs bataillons
Campent sur nos rochers où la mort se balance
Jouant dans les lis d’or de leurs blancs pavillons.
Le Mas d’Azil reçoit des bourgades lointaines
Guerriers, vieillards, enfants, mères, brebis bêlantes ;
L’Arize de ses murs embrasse les contours ;
Et le mont colossal, recourbant sa ramure,
Etreint, comme une double armure,
D’un cirque de rochers, sa cuirasse de tours.

Mais la grotte est la citadelle
Où des combats de Dieu dormait le char tonnant…

Et le mont, la cité, la nue,
S’ébranlent à la fois ; l’orageux bataillon
S’élance, et jusqu’au ciel monte l’hymne connue,
Et Jéovah descend dans le noir tourbillon ;
L’Eternel sur les camps trois fois passe et repasse ;
Trois fois un large éclair brille, et trois fois l’espace
Gronde…Où donc est Thémines et son camp odieux ?
Et le soir, du combat encore échevelées,
Et d’ardentes vapeurs voilées,
La grotte et la cité chantaient :« Dieu, roi des dieux. »
(L’Arize- La Grotte du Mas d’Azil)

L’ « hymne connue » est peut-être le fameux cantique des batailles : « que Dieu se montre seulement… ». Une sorte de «Gloria in Excelsis Deo », mais en français, bien propre à faire retourner dans leur tombeau, s’ils y fussent demeurés, les Louis XIII, les Luynes, les Thémines et les Richelieu. Rêveries d’un pasteur réformé ? Oui certes, mais au jour d’aujourd’hui beaucoup d’Aziliens rêvent encore de même !

***

Et lui, Napoléon Peyrat ? Sa vie, ses joies et ses peines, les siens, sa femme et sa fille ? Il n’en dit quasi-rien par humilité chrétienne. On devine qu’il n’est guère argenté, bien que rétribué par l’Etat, mais on ne pénètre pas plus dans sa conscience. Ses opinions politiques ? Sans doute bonapartiste. Mais encore ? Sa voix, il la consacre à la Parole de Dieu, qu’il chante et rechante. Il est patriote, pour sa petite patrie du Val d’Arize, comme pour sa grande patrie, la France, que le « Tcheutch » (pour le « Deutsch ») assaille au siège de Paris en 1870. De Saint-Germain-en Laye, il est aux premières loges pour voir passer les casques à pointe, entendre les combats de Buzenval, brûler les châteaux de Meudon et Saint-Cloud, monter d’un peu partout les fumées dans le ciel et charrier les cadavres. Alors, tout en louant le Seigneur d’avoir choisi les français pour être sa « race élue », il déplore qu’en ces temps cruels Il semble les abandonner au malheur :

« Tu nous aimais ! Et maintenant
Tu nous as délaissés ! O Dieu fort et tonnant,
Tu ne conduis plus nos batailles !
Tu nous laisses fouler par les pieds des passants !
Nos cités sont en feu ! Nos peuples sont en sang !
Nos triomphes des funérailles ! »
(La Grotte d’Azil- la Patrie VI)

Et voici qu’à la date funèbre du 28 mai 1871, quand la Semaine Sanglante se clôt par les fusillades du Père-Lachaise, Peyrat chante le Requiem pour tous les morts de la Commune de Paris. Il recommande au Seigneur les défunts des deux camps :

« Ils ont passé sur cette terre,
Descendu, sur leur nef, le long fleuve du temps.
Leurs chants retentissaient sur ses bords éclatants.
Puis la rive devint muette et solitaire.
Où sont-ils ? Qui le sait ?- O Dieu juste et vengeur,
Heureux les morts dans le Seigneur !

Et moi de ces strophes funèbres,
J’exhalais les sanglots dans l’immense ouragan
Qui dévorait Paris tonnant comme un volcan,
Et l’holocauste humain, fumant dans les ténèbres,
Et sur Paris planait l’ange exterminateur !
Heureux les morts dans le Seigneur ! »
(La Grotte d’Azil- La Patrie IX)

Napoléon Peyrat connaît aussi l’enthousiasme quand il chante la liberté. Oh ! Il n’a pas un mot, serait-ce de défiance, pour Napoléon III. La liberté est pour lui un plus noble idéal qu’un régime qui passe et se défait. En reprenant et en surpassant le poème célèbre d’Alfred de Vigny, il se plait à mêler la légende de Roland à celle de Napoléon 1er, qu’il fait combattre ensemble à libérer les Pyrénées, qui des Maures et qui de l’Inquisition.

« Nos pères, du soleil et du canon bronzés
Sont morts aussi mordant leurs vieux sabres brisés
Sur toutes les cimes d’Espagne !
O Roland ! Tu les vis lorsqu’ils tombaient ainsi !
Réponds, était-il grand notre empereur aussi
Comme ton oncle Charlemagne ?

Ah ! Si vers l’Ebre un jour passaient par Roncevaux
Nos soldats, nos canons, nos tambours, nos chevaux
Et nos chants tonnant dans l’espace,
Dresse-toi dans la tombe et regarde ô lion !
C’est plus que Charlemagne et que Napoléon
Car c’est la liberté qui passe ! »
(Les Pyrénées- Roland)


***


L’épopée n’est pas finie. Elle chante encore. Le souvenir du pasteur et poète est entretenu par l’association des Amis de Napoléon Peyrat, dont le siège social est à la mairie des Bordes-sur-Arize 09350 Ariège. On peut y adhérer directement. On peut aussi acquérir les trois recueils ci-dessus auprès de l’éditeur Lacour-Rediviva de Nîmes (www.editions-lacour.com). Chaque été, l’assemblée générale de l’association se tient à la mairie ou au temple des Bordes pour une conférence. On y lit les poèmes et les proses de l’écrivain.

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