dimanche 8 novembre 2009

L'irrésistible ascension des Foix - Béarn


L'irrésistible ascension des Foix - Béarn
Michel Bégon septembre 2002


Ayant régné quatre siècles sur les pays d’Ariège, depuis Roger Ier « le Vieux » (957 - 1012) jusqu'à Gaston III Fébus, la longue lignée directe des comtes de Foix s’est toujours signalée par son esprit d’indépendance, son ambition dynastique et son habileté manœuvrière. On en retient surtout l’intervention dans les guerres ou les querelles religieuses, mais parce qu’elle sut toujours mettre à profit les idées nouvelles, pour mieux résister ou davantage s’imposer. Finalement, son empreinte à la fois séparatiste et anticléricale est restée sensible encore de nos jours sur la vallée de l’Ariège, surtout par comparaison avec la politique plus disciplinée des évêques de Saint - Lizier et des comtes de Couserans.


L’indépendantisme pyrénéen

L’unité religieuse et politique de l’Etat français s’est faite au nom du double héritage de la Gaule et de Rome, mais aussi bien par l’omission des cultures minoritaires. Quelque peu déconcertés, les historiens, archéologues et linguistes découvrent aujourd’hui, jusque dans le détail, que ni les invasions gauloises, ni la conquête romaine, ni les implantations germaniques, ni les percées arabes n’investirent les Pyrénées, où le même peuplement, qu’on appelle selon les goûts ibère, basque, vascon, gascon ou aquitain, est demeuré en place, depuis plusieurs millénaires. D’un bout à l’autre des Pyrénées, il en est resté cet esprit d’indépendance, qui au 13ème siècle fit coexister pas moins de neuf Etats pyrénéens, soit, d’est en ouest, le royaume d’Aragon, l’Andorre, le comté de Foix, le comté de Couserans, le comté de Comminges, le comté de Bigorre, la vicomté de Béarn, le comté d’Armagnac, le royaume de Navarre.

Cependant, il survint dès l’antiquité une petite dissemblance, qui devait avec le temps provoquer les évolutions très différentes de ces Etats et notamment le hiatus religieux entre le comté de Foix et le comté de Couserans. Si les pays d’Ariège, comme les hautes Pyrénées et le pays basque, n’acceptèrent que tardivement la christianisation, pas avant les 7ème ou 8ème siècles semble-t-il, la cité des « Consorani », alias le Couserans, acquit très tôt son homogénéité locale, peut-être d’abord sous l’autorité romaine de la gens valeriana, laquelle aurait donné Saint Valier, fondateur de l’Eglise couseranaise, ainsi que la dénomination du Mont Valier, puis sous l’autorité ecclésiastique de l’évêque de Saint Lizier, qui parvint à créer autour de lui une sorte de principauté épiscopale, d’un type plus familier en Allemagne ou en Italie. A l’anticléricalisme traditionnel des comtes de Foix fit toujours obstacle la fidélité à Rome du Couserans.

Tandis évidemment que l’entourage des comtes s’exprimait en occitan, la cour de l’évêque de Saint Lizier pratiquait la langue latine du Moyen Age, ce qui séparait deux mondes rivaux.


Obscures prémisses

Au contraire donc des vallées du Couserans, participant de la civilisation romaine, les hauts et bas vaux d’Ariège s’en maintinrent presque totalement à l’écart, en stagnant dans ce qu’on pourrait nommer le sous - développement. Aucun site gallo-romain n’y est connu. L’oppidum de la Tour d’Opio, près de Saint Jean de Verges, déclina même dès le 1er siècle avant notre ère. Il n’y eut là ni église paléo-chrétienne, ni martyr de la foi, ni pèlerinage « ad sanctos ». Aussi bien la région releva-t-elle du diocèse de Toulouse, jusqu’aux guerres cathares, et le comté de Foix ne prit-il forme qu’en 1002, avec le testament de Roger de Carcassonne. Aucune ville ni bourgade n’animait ces montagnes de soulanes, de torrents et de cailloux. Le château de Foix, attesté dès 1002, ne fut d’abord qu’une humble forteresse de bois, juchée sur un ressaut morainique de l’Ariège, parmi les buissons sauvages.

Il n’y avait pas davantage de clerc, de scribe, ni d’historiographe. Aussi bien, faute de documents, ignorons-nous presque tout des premiers comtes de Foix qui habitèrent le château avec leur famille et quelques gens d’armes : Bernard, attesté de 1012 à 1034, Roger I, connu de 1034 à 1067, Roger II, documenté de 1067 à 1124, Roger III, daté de 1124 à 1148, puis Roger - Bernard Ier, illustré de 1148 à 1188. Après quoi, l’histoire s’éclaire un tout petit peu, grâce, malheureusement, aux guerres cathares.

Que faisaient les comtes et leurs gens dans des régions de montagne aussi pauvres, sauf chasser, guerroyer, pressurer les manants ou partir pour la Croisade ? Ainsi Roger II fit-il le siège de Tolède et la Croisade d’Orient, mais dans des conditions dont on ne sait rien.

Or, la faiblesse économique et démographique du comté ne pouvait que susciter l’envie de conquête de la part de ses plus puissants voisins. Le val d’Ariège fut donc l’objet des ambitions rivales des comtes de Toulouse, de Carcassonne et de Barcelone, entres lesquelles les seigneurs de Foix surent heureusement jouer un rôle de balancier, pour conserver leur liberté. Surtout, la toute-puissante abbaye bourguignonne de Cluny, dont l’autorité morale et politique dominait le 10ème siècle, s’immisça très tôt dans leurs possessions, en obtenant dès 1060 la concession de l’abbaye Saint Antonin de Fredelas pour Hugues de Cluny, dès 1062 la nomination d’un moine clunisien comme abbé de Lézat et dès 1075 des droits réels sur la haute Ariège, le massif du Tabe et même le château de Lordat. S’agissait-il tactiquement de plier pour ne pas rompre ? La suite des événements porterait à le croire.


Sursaut d’autorité

L’essor démographique du pays, commencé peu avant l’an mille et qui ne devait culminer qu’en 1846, fut l’énorme vague ascendante dont les comtes et leurs vassaux surent tirer le meilleur parti pour organiser méthodiquement en principauté indépendante le val d’Ariège, le piémont pyrénéen, le massif du Plantaurel (à l’exception du Séronais), les vallées de la Lèze et de l’Arize et même le Volvestre, dans les frontières qui subsisteront jusqu'à la Révolution et aux retaillages de Marc Vadier. A cet effet, la politique comtale reprit les stratagèmes ordinaires de la féodalité française, mais en leur donnant une force plus systématique et en rencontrant surtout davantage de bonheur.

Il s’agissait, crûment dit, de tenir la paysannerie en respect par la force armée, d’avoir le clergé à sa botte pour s’en servir au mieux, d’arrondir ses possessions par la ruse et la rapine, enfin de prêter hommage à plusieurs suzerains afin qu’ils rivalisent entre eux. Comment ce programme offensif fut mené à bien, les faits nous sont mieux connus que précédemment.

A cette époque, le comte, sa famille, sa suite ainsi que ses vassaux exerçaient sur la comté la souveraineté féodale, nommée par les historiens la « propriété éminente », et prélevaient sur les propriétaires du sol, les communautés, les commerçants ou les voyageurs l’ensemble des droits féodaux et seigneuriaux, que les économistes du 18ème siècle subsumeront sous l’appellation générique de « rente foncière et tréfoncière ». Ces exactions forcées leur faisaient craindre la résistance ou la révolte des assujettis, ainsi qu’en témoignent les innombrables soulèvements paysans du Moyen Age, dont la comté n’était pas à l’abri. C’est pour se prémunir des incursions paysannes, notamment nocturnes, beaucoup plus que pour se garantir des agressions militaires de l’extérieur, lesquelles étaient plus rares et respectaient les règles de la chevalerie, que le royaume de France se couvrit de châteaux-forts. Le cas du val d’Ariège est des mieux probant à cet égard, puisque le relief montagnard formait déjà une suffisante défense naturelle, mais que les comtes jugèrent opportun d’y faire dresser une bonne quarantaine de grandes forteresses, dont la plupart subsistent à l’état de ruines intensément poétiques. Citons-en Foix, Castelpenent et Queille, dès 1002 ; Lordat, Dun et Roquemaure en 1034 ; Usson vers 1047 ; Mirepoix en 1063 ; Durban et Roquefixade en 1067 ; Ax en 1095 ; Pamiers en 1111 ; Caralp en 1112 ; Saverdun en 1120, etc.

Par comparaison, notons que l’évêque de Saint Lizier devait mieux faire corps avec sa population couseranaise, encore qu’il levât la dîme et bénéficiât d’un domaine temporel, puisque c’est surtout pour se prémunir des hostilités de Bernard IV comte de Comminges (1176 - 1225) et de son frère Roger de Comminges, vicomte de Couserans (1176 - 1211), tous deux sympathiques aux Cathares, qu’il fit ériger en 1195 au nord de Saint Girons les cinq châteaux-forts de Cérisols, Bédeille, Tourtouse, Montardit et Saint Lizier.

Contre les exactions féodales, l’épiscopat fut, là comme ailleurs, le protecteur des petits propriétaires alleutiers et des communautés villageoises. Pour mettre le clergé à sa dévotion, le comte de Foix installa sur ses terres le plus grand nombre qu’il put d’ordres monastiques, dont bien sûr il nommait les abbés, où il plaçait les siens et des rentes desquels, à l’occasion, il s’emparait. Sans doute le fait était-il général dans le royaume :

« Aux temps féodaux, la fragmentation du pouvoir régalien fit se multiplier les monastères. Tout seigneur, dès qu’il en avait le moyen, en fondait un pour ses besoins spirituels et ceux de ses sujets. C’était le complément naturel du château. »

Georges Duby
Art et société au Moyen Age
Editions du Seuil 1997 page 42

A Foix même, l’opération d’assujettissement prit un aspect quelque peu caricatural, puisque Roger II reconstruisit l’abbaye de Saint Volusien au pied même de la roche où il érigeait ses tours, encore aujourd’hui existantes, et choisit lui-même de la soumettre à la règle des chanoines de Saint Augustin. Du moins l’agglomération fuxéenne prit-elle forme autour de ce complexe à deux étages, superposant les comtes aux moines. Quant aux pressions et détournements seigneuriaux au détriment des abbayes de Pamiers ou Lézat, ils firent à l’époque scandale. Trop puissante et ne dépendant que du pape, l’abbaye de Cluny se vit d’ailleurs éliminer.

Par comparaison encore, notons que l’évêque de Saint Lizier n’introduisit dans le Couserans aucun ordre monastique. Sa légitimité historique, spirituelle et ultramontaine lui suffisait pour asseoir son autorité. Ainsi se creusait entre le Couserans et le comté de Foix une disparate ecclésiastique qui devait plus tard apporter de graves conséquences.

Cette querelle européenne du clergé et de la féodalité eut deux premiers effets considérables. Le moine clunisien Hildebrand, quand il fut élu pape sous le nom de Grégoire VII, prit les « dictatus papae » de 1075, interdisant aux laïcs d’accorder et de vendre les charges sacerdotales. Mais cette « réforme grégorienne » resta mal appliquée, comme à elle seule l’attesterait l’attitude brutale des comtes de Foix. En sens inverse et contre Cluny, Robert de Molesme créa en 1075 l’abbaye de Molesme et en 1098 celle de Cîteaux, toutes deux en Bourgogne, pour répudier les fastes et la morgue des Clunisiens, renoncer à la rente ecclésiastique et vouer les moines au travail manuel, implanter les abbayes, non plus au cœur des plus riches vignobles, mais dans les forêts désertes et les marécages insalubres. L’ordre cistercien connut dans toute l’Europe l’immense faveur que méritaient ses valeurs de courage et d’humilité. Soucieux d’abaisser l’épiscopat ainsi que les anciens et riches monastères carolingiens, comme Lézat ou le Mas d’Azil, les comtes de Foix installèrent une abbaye cistercienne dans la forêt de Boulbonne, à l’est de Pamiers. A partir de 1188, ils choisirent cette abbaye de Boulbonne pour être le lieu de sépulture de leur dynastie. Juste à côté, Roger-Bernard Ier édifia sa résidence principale, à Mazères, dans un château dont les historiographes nous relatent la splendeur primitive.

Pour humilier l’abbaye Saint Antoine de Fredelas, à laquelle il dut rendre ses biens extorqués, Roger II fit ériger le château-fort du Castella en 1111, et surtout changea le nom de la ville, qu’il baptisa Pamiers, en souvenir de sa Croisade en Terre Sainte et de sa visite à Apamée de Phrygie, qu’il confondait avec l’Apamée de Syrie (jouxtant Zeugma). Ne prétendait-il pas avoir ramené de cette Apamée les vraies reliques de Saint Antoine le Grand, anachorète égyptien et fondateur de l’érémitisme chrétien ?

Plus considérable encore fut la stratégie d’alliances matrimoniales et d’expéditions militaires, qui valut aux comtes d’élargir peu à peu leurs possessions pyrénéennes, en Cerdagne, en Andorre et dans toute la Catalogne. Vers l’est, le comté de Carcassonne s’opposait à leur expansion ; vers le nord, ils se heurtaient à leur suzerain, le puissant comte Raymond de Toulouse ; à l’ouest, l’évêque de Saint Lizier leur tenait tête ; il restait l’autre versant des Pyrénées, où le roi d’Aragon les acceptait d’autant mieux que leur alliance lui était utile contre les Sarrasins et qu’il escomptait leur imposer sa suzeraineté. Au 12ème siècle, le comté de Foix relevait-il du roi de France ou du roi d’Aragon ? L’ambiguïté féodale préservait les libertés locales.


Les guerres cathares

Vers la fin du 12ème siècle, telle était l’animosité entre les seigneurs et l’Eglise que l’éclatement des guerres de religion aurait pu ou dû être prévisible. Seul môle de stabilité, l’évêché du Couserans, qui n’avait pas accueilli les ordres monastiques, ne fut pas non plus touché par le catharisme, ni plus tard par le protestantisme. Mais les comtes de Foix, hostiles à l’épiscopat, firent venir sur leurs terres tant d’ordres rivaux, pas moins d’une douzaine jusqu'à 1200, et ces ordres se montrèrent si gourmands de droits réels, de donations et de paréages, que la population du val d’Ariège adopta l’anticléricalisme du temps. Communautés cathares et vaudoises s’installèrent d’autant plus aisément dans le comté de Foix que les comtes, jouant double jeu, n’étaient pas mécontents d’affaiblir davantage encore la puissance cléricale et de s’appuyer sur les hérétiques. Force est d’observer que bon nombre d’ordres monastiques installés tinrent compte du nouveau rapport des forces et, à l’inverse de l’épiscopat, ne firent pas obstacle aux hérésies du siècle. S’ils furent plus tard supplantés par les Ordres mendiants, dévoués au pape, c’est à leur modérantisme qu’ils durent ce revers.

Le catharisme était une secte chrétienne, d’envergure européenne, dont la théologie différait somme toute assez peu de la doctrine romaine, mais qui répudiait l’installation de l’Eglise dans l’opulence de la rente foncière, renonçait à toute hiérarchie ecclésiastique, admettait une certaine égalité entre les fidèles, même les femmes, et rejetait pour son compte toute propriété foncière. Les comtes de Foix et leurs vassaux n’y ressentirent aucun préjugé anti-nobiliaire et n’y virent d’abord que l’amplification de la réforme cistercienne. Une grosse différence, qu’on ne souligne jamais assez, tint à l’abandon du latin, en usage chez les membres du clergé catholique, langue savante, incompréhensible du commun, et à l’adoption de l’occitan par les prêtres et manuels cathares, ce qui ne pouvait que flatter l’esprit d’indépendance des vallées et le modernisme des bourgeois. Mais probablement l’avantage décisif des Cathares, aux yeux des comtes, fut-il de dénier à l’Eglise toute possession foncière et d’en réserver les droits réels à la noblesse ainsi qu’à ses vassaux.

Si le comte lui-même conserva l’équivoque confessionnelle, non sans se voir plusieurs fois excommunier, les dames de la cour de Foix se montrèrent plus favorables au nouveau christianisme. La comtesse Philippa de Foix, épouse de Raimond-Roger, et Esclarmonde de Foix, sœur du comte, furent admises parmi les parfaites. Cette cour cultivée, qui parlait latin aussi bien qu’occitan, écoutait, lisait et chantait les ballades des troubadours itinérants, dont l’âcre poésie mariait l’amour courtois à la haine des clercs :

« Clergue geton cavaliers a carnatge
Que quan lor an donnat pan et formatge
Las meton lai ont om los encairelo. »

(Les clercs jettent les chevaliers au carnage, car après leur avoir donné pain et fromage ils les envoient là où on les embroche).

Peire Cardenal (1205 - 1272)

L’abbaye cistercienne de Boulbonne réagit sympathiquement à l’hérésie, puisqu’elle reçut longtemps les sépultures des seigneurs de la maison de Foix, qu’ils fussent suspects ou même excommuniés. En revanche l’évêque de Saint Lizier et l’abbé de Saint Antoine de Pamiers appelèrent à leur aide Simon de Montfort, pour qu’il les délivrât des hérétiques. Son aversion envers la nouvelle foi comme à l’égard de la famille comtale valut à Pamiers, non seulement d’être érigée en évêché à partir de 1295 et d’accueillir le centre méridional de l’Inquisition anti-cathare, mais surtout de fournir à l’Eglise un pape, Jacques Fournier, sous le nom de Benoît XII (1334 - 1342). Les abbayes bénédictines de Lézat et du Mas d’Azil, prudentes, mais orthodoxes, ne connurent quant à elles ni le catharisme, ni sa répression, ni aucune promotion.

Raimond-Roger, septième comte de Foix de 1183 à 1223, déploya sa valeur et ses talents militaires contre la Croisade des Barons du nord, qui s’ouvrit en 1204. Sa première victoire fut à Montjoie, près de Toulouse, où il défit une troupe de 6 000 Allemands, qui partaient assiéger Lavaur. En 1211, sous Castelnaudary, il mit en déroute l’armée du maréchal Guy de Lévis. Il fit même appel au roi d’Aragon, lequel put gagner la plaine de Toulouse par le val d’Ariège, mais fut tué en septembre 1213 à la bataille de Muret.

Roger-Bernard II, huitième comte de Foix (1223-1241), fut surnommé le Grand pour ses victoires sur les Croisés, pour la protection qu’il accordait aux Cathares et pour sa constance d’âme, puisqu’il fut deux fois excommunié. Comme ses pères, il fut inhumé à Boulbonne.

Roger IV, neuvième comte de Foix (1241-1265), fut contraint, comme son suzerain le comte Raymond de Toulouse, à prêter hommage-lige au roi de France Louis IX, Saint Louis, mais ne put empêcher le siège de Montségur en 1244. Au moins permit-il secrètement à la foi cathare de se maintenir dans toute la haute-Ariège.

Roger-Bernard III, dixième comte de Foix (1265-1302), fut enfin l’auteur du revirement de fortune qui devait faire accéder son lignage à un destin national. Les choses avaient pourtant mal commencé, lorsqu’en mai 1272 le roi Philippe III le Hardi mit le siège sous le château de Foix et le fit emprisonner à Carcassonne. Son coup de génie fut d’entrer dans la complicité du roi de France Philippe IV le Bel, dont l’anticléricalisme et même l’antipapisme s’illustrèrent tout particulièrement par l’anéantissement des Templiers, par l’attentat d’Anagni ainsi que par la déportation des papes en Avignon. La vieille méfiance de la maison de Foix envers Rome plaidait désormais en sa faveur ! Aussi bien Roger-Bernard III, dans la lutte contre les Anglais, se vit-il nommer « recteur, gouverneur et commandant des diocèses d’Auch, Ain, Dax et Bayonne » ; aussi le roi contraignit-il l’évêque de Pamiers Bernard Saisset à lever l’excommunication prononcée contre lui et donc à perdre la face ; aussi surtout put-il épouser Marguerite de Moncade, vicomtesse de Béarn en 1290, et de plein droit devenir lui-même vicomte de Béarn.

L’histoire locale envahit alors l’histoire générale. L’hostilité farouche de l’évêque théocratique de Pamiers Bernard Saisset envers le comte de Foix lui valut d’être en 1301 convoqué et enfermé à Paris par le roi ; sans doute le pape Boniface VIII répliqua-t-il à cette incarcération par une lettre au roi d’une violence inouïe et par l’excommunication de Philippe le Bel en 1303 ; mais mal lui en prit, puisque le roi excommunié fit arrêter le souverain pontife dans sa résidence d’Anagni (Latium), avec une violence telle qu’il en mourut ; puis Philippe le Bel fit élire pape un bordelais, sous le nom de Clément V, et le pressa de transporter le Saint Siège en Avignon, dès 1309. Cet incident ariégeois provoqua, disent les Italiens, « a captivité de Babylone », dont devait s’ensuivre le Grand Schisme d’Occident, après 1378. Petite cause, grands effets ! On prit alors coutume de dire que « la cité de Pamiers est dans le comté de Foix, mais pas du comté de Foix ».


Loin des yeux, loin du cœur

A partir donc de 1290, le comté de Foix appartint à la maison de Foix-Béarn. Le château de Foix fut déserté pour celui d’Orthez. Sans doute, les comtes de Foix-Béarn se sentirent-ils, pour longtemps, Ariégeois d’abord, puisqu’ils gardèrent coutume de fréquenter le château de Mazères et de se faire inhumer à Boulbonne. Mais peu à peu le lien se distendit.

Gaston III dit Fébus (ou Phébus pour sa blonde chevelure) naquit en 1334 du mariage de Gaston II de Foix et d’Eléonora de Comminges, pour devenir, en 1343, à la mort de son père à Séville, lequel avait rejoint Alfonso XI pour le siège d’Algésiras, non seulement le treizième comte de Foix, mais aussi bien le vicomte de Béarn, Marsan et Gavardan ainsi que le seigneur du Nébouzan (pays de Saint Gaudens). Ses possessions faisaient tellement de lui déjà l’un des principaux feudataires du royaume de France, qu’il put épouser dès 1353 Agnès de Navarre, sœur du roi de Navarre Charles II dit le Mauvais, celui-là même que Bertrand du Guesclin devait battre en 1364 à la bataille de Cocherel, et qu’il fut reçu très jeune à la cour du Louvre par le roi Jean II le Bon, lequel voulait lui faire prendre parti contre les Anglais. Entre les deux hommes, les rapports furent si violents que le roi enferma Gaston III au Châtelet ! En fait, Gaston Fébus entendait tirer parti de la Guerre de Cent Ans (1137 - 1453) pour s’assurer l’indépendance politique et réaliser ainsi le vieux rêve monarchique des comtes de Foix. A peine Jean II fut-il capturé par le Prince Noir à l’humiliante défaite de Poitiers en 1356, que Gaston Fébus jugea urgent de rallier les Chevaliers Teutoniques et de reconquérir la Prusse orientale sur les Slaves. Il tournait ainsi le dos au Languedoc, dont la fidélité au roi devait finalement assurer la victoire des Valois contre les Plantagenêt.

Si Gaston III revint glorieux de Prusse, ce fut pour vaincre les Jacques en Ile de France, puis les Armagnacs à la bataille de Launac (1362), enfin et surtout le duc de Berry, gouverneur du Languedoc pour le roi, au combat de Revel (1381). Désormais indépendant, ne prêtant plus hommage à quiconque, sauf à Dieu, contrôlant manu militari l’axe commercial de Bayonne à Toulouse, et devenu même le plus puissant et plus riche prince de toute l’Occitanie, Gaston III de Foix s’érigea en seigneur à l’italienne, sur le modèle des Anjou de Sicile, des Visconti de Milan ou des Malatesta de Romagne. Condottiere, il créa une armée permanente de 6 000 hommes, avec laquelle il rançonna toute la féodalité gasconne. Moderniste, il légalisa le prêt à intérêt, protégea les Juifs, limita les prérogatives de sa noblesse, dont il eut en 1380 à réprimer durement le complot. Ecrivain et artiste, il composa un traité de vénerie, le « Miroir de Phoebus », encore admiré de nos jours, ainsi que des centaines de chansons occitanes, inspirées de l’amour courtois. N’était-il pas le contemporain de Pétrarque (1304-1374), dont la gloire lui agaçait les oreilles ?

Gaston III eût fondé une dynastie puissante, si le malheur ne l’avait accablé. De ses deux fils, l’un fut légitime, qu’il tua de sa main dans un accès de colère, l’autre bâtard, qui périt brûlé vif au fameux Bal des Ardents. A sa mort en 1391 s’éteignit la branche directe des Foix - Béarn.

Ce treizième comte de Foix (1334 - 1391) fut donc l’homme d’Etat et le littérateur d’envergure européenne dont la renommée nous est parvenue et sert toujours de réclame touristique. Mais cet européen restait-il un ariégeois ? Nous gardons de lui quelques lettres signées et datées du château de Mazères, qu’il habitait donc parfois. Nous savons qu’il faisait enfermer les gentilshommes prisonniers au château de Foix afin de les rançonner. Mais ses chevauchées jusqu’en Prusse et en Flandre lui laissaient-elles le loisir de goûter la sauvage nature du Val d’Ariège, le charme de ses églises romanes et les émois de la chasse à l’ours ? Parmi les deux cents chansons et poésies qu’il laissa, la plus célèbre fut, dit-on, « Maudites Mountines » (maudites montagnes!), laquelle ne témoigne pas d’un extrême attachement, ni pour le massif du Tabe, ni pour le Montcalm, ni pour le pic de Carlit. En ces temps et jusqu'au 19ème siècle, il fut convenu de haïr la montagne, qui ne produisait pas de rente, mais des rebelles.

Sauf le château de Foix, devenu musée, les souvenirs des comtes ont disparu de l’Ariège. Encore Gaston de Foix, l’illustre capitaine des guerres d’Italie, naquit le 12 décembre 1489 au château de Mazères ; mais un incendie détruisit en 1492 l’édifice, qui ne fut pas reconstruit. Quant à l’abbaye de Boulbonne, ruinée par les protestants, déplacée, puis abandonnée à la Révolution, ses vestiges se trouvent à présent sur le département de la Haute Garonne.

Il est vrai qu’avec Gaston Fébus avait pris fin la ligne directe des comtes de Foix, dont le prolongement jusqu'à 1610 se fera plusieurs fois par les femmes. Le titre de comte de Foix ne sera plus dès lors pour ses porteurs qu’un prestigieux titre de gloire.




Bibliographie sommaire

M. H. Duclos - Histoire des Ariégeois - 1882

Claudine Pailhès - L’Ariège des Comtes et des Cathares - Milan 1992

Sous la direction de Claudine Pailhès - Histoire de Foix et de la Haute Ariège - Editions Privat 1996

Adelin Moulis - Si les Comtes de Foix m’étaient contés - Lacour Rediviva 1998

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