dimanche 8 novembre 2009

La Réveillée, association des descendants des gentilshommes verriers de l'Ariège et du Tarn


La Réveillée, association des descendants des gentilshommes verriers

de l'Ariège et du Tarn
Michel Bégon mars 1992


En août 1975, on assistait près de Gabre, sur les crêtes rocailleuses du Plantaurel entre le Mas d'Azil et Foix, à un événement familial auquel la télévision a bien voulu donner un retentissement national par l'émission « Au rendez-vous des ancêtres », qui durait 90 minutes. C'était la réunion de quelque cinq cent descendants des gentilshommes verriers de l'Ariège, de la Montagne Noire et de la forêt de la Grésigne, environ un siècle après l'extinction des derniers fours à verre qui flambaient depuis 1715 à la manufacture de Pointis, dans la vallée du Salat en Couserans. Cette descendance pouvait être d'autant mieux cernée que la Charte de Sommières (Gard) avait reconnu en 1445 le privilège de l'art du verre à quelques familles nobles du Languedoc, que ce privilège s'était mué jusqu'en 1789 en un monopole de la verrerie ariégeoise au bénéfice des trois familles de Robert, Verbizier (ou Verbigier, Berbigier) et Grenier (ou Granier), qu'enfin ces trois familles avaient pratiqué jusqu'au XXème siècle une forte endogamie qui les constituait, sinon en caste fermée, du moins en consorts. Quelques monographies avaient déjà reconstitué les généalogies et les lignages jusqu'au XVème siècle, en permettant de retrouver la plupart des héritiers des trois noms.

L'origine de ces familles est controversée. Sont-elles venues des bords du Rhin par étapes et ont-elles été anoblies par Saint Louis aux Croisades, comme le voudrait la légende ? Rien n'est moins sûr. Viendraient-elles d'Auvergne par l'intermédiaire des massifs forestiers de l'Albigeois et du Haut Languedoc ? En tout cas, leur présence en Ariège n'est attestée sûrement qu'à partir de 1529 à Gabre (Mas d'Azil) pour les Robert, de 1550 à Bousquet (La Bastide de Sérou) pour les Grenier, de 1554 à Fabas (Sainte-Croix Volvestre) pour les Verbizier, là où la disponibilité de forêts, de sables et d'espaces vacants permettait leur industrie. Sans doute s'étaient-elles installées auparavant, peut-être pour combler les vides démographiques creusés par les pestes de 1350 et la Guerre de Cent Ans, à l'appel dit-on d'Alain d'Albret, grand père de Jeanne d'Albret. Faut-il alors attribuer à la protection de la dynastie gasconne la conversion à la Réforme d'une bonne partie de leurs ressortissants ? Tout compte fait, cela fait beaucoup de questions que les historiens des trois familles s'attachent à élucider.

A l'heure actuelle, la légende transmise de bouche à oreille pendant des siècles déforme et enjolive tant les faits historiques qu'on ne sait plus démêler le faux du vrai.

Les exploitations artisanales de ces familles s'étendaient sur plusieurs massifs forestiers du grand sud-ouest, entre lesquels les échanges à pied ou à cheval étaient fréquents : Aude, Tarn, Quercy, Périgord, Bazadais, Agenais, Haute Auvergne, Lot et Cantal. Mais c'est sur la Montagne Noire que les fouilles archéologiques ont révélé les plus beaux fours à verre des XVIIème et XVIIIème siècles. Pour l'Ariège, le travail d'investigation reste à faire, ce qui est d'autant plus surprenant que le noyau dur des trois familles s'est maintenu dans l'Ariège, surtout près du Mas d'Azil ou de Fabas, dans des maisons de famille datant souvent du XVIIème siècle. L'archéologie industrielle de la France reste encore balbutiante !

Chaque installation comportait le four à cuire la pâte de verre et le four de refroidissement des pièces préparées, outre les bâtiments d'exploitation et les resserres. On retrouve ces fours souvent presque intacts avec les creusets de grès qui les accompagnaient, parmi des monceaux d'éclats de verre et quelques tessons. La fabrication donnait des bouteilles, des carafes, des verres à boire ou des urinoirs ordinaires, mais aussi des objets d'art précieux, tels que des coupes, des drageoirs, des fioles à parfum, des cannes en verre, des dés à coudre. Pour l'essentiel, elle consistait en verres soufflés à la bouche avec la canne, comme on voit toujours faire à Murano près de Venise.

Dès la Renaissance, les trois familles lièrent intimement leur histoire à celle des pays d'Oc, de Foix et de Couserans, qui plus tard formeront le département de l'Ariège. Elles fournirent des chefs militaires aux armées protestantes et contribuèrent à la défaite du roi de France devant les réformés, au siège du Mas d'Azil en 1625 par le maréchal de Thémines. Elles aidèrent beaucoup aussi, et peut-être plus encore que les charbonniers, à déboiser les pré-Pyrénées, au grand dam de l'administration des eaux et forêts, pour alimenter leurs fours voraces en combustibles ligneux. Elles inquiétaient beaucoup les autorités politiques par leur façon de s'isoler dans les bois et, pensaient-elles non sans raison, d'y comploter, à telle enseigne que l'assemblée de la noblesse en 1789 ne voulut pas d'abord accepter leurs représentants en son sein, au motif qu'elles étaient sans domicile fixe. Elles donnèrent à l'Empire le général de Verbigier de Saint-Paul, et les Grenier de Cassagnac s'illustrèrent sous le Second Empire dans la presse d'opinion et les duels de journalistes. Mais l'abolition des privilèges porta un rude coup à leur artisanat, que la concurrence victorieuse des verreries au charbon de terre du nord de la France vint achever entre 1850 et 1880, le chemin de fer aidant. Sur les fours délaissés, la végétation reprit alors ses droits.

Les descendants de ces gentilshommes verriers, malgré leur dispersion aux quatre coins de la France et même à l'étranger, se sont constitués en association de la loi de 1901 pour perpétuer le souvenir et la tradition. Ils ont pris le nom de « La Réveillée », pour rappeler la réveillée, c'est à dire le rallumage des fours à la saison d'automne, lorsque, après les récoltes faites, les paysans redevenaient disponibles pour couper et charrier les bois, apporter les sables siliceux, convoyer les verres soufflés vers les marchés. L'association a son siège social au Mas d'Azil, chez Mlle Jane SIVADON, descendante des Verbizier Latreyte ; elle édite ou réédite des ouvrages d'histoire à l'attention des amateurs, expose ses collections de verres anciens au musée du Mas d'Azil, publie une lettre circulaire quadrimestrielle et tient ses assises chaque année, le plus souvent dans quelque joli site d'Ariège (le Mas d'Azil, Gabre, La Bastide-de-Sérou, Laroque d'Olmes, Ussat-les-Bains ou Saint-Pierre près d'Oust). Ses liens avec les Ariégeois de Paris ou les Amis de Saint-Lizier et du Couserans sont solidement noués par plusieurs bi- ou tri-appartenances.

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